Le prix de la reconnaissance par David Servan-Schreiber

Publié le par Savannah

 

 

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« Je n’ai jamais connu le stress avant de venir en Occident ! » Kalson est orphelin, il a quitté son Tibet natal à l’âge de 8 ans en échappant aux gardes-frontières chinois, il n’a jamais eu de papiers officiels. Quand je l’ai rencontré, il vivait à Dharamsala, dans le nord de l’Inde, dans l’une des agglomérations qui accueillent le plus de réfugiés tibétains, et il était proviseur d’une école de plusieurs milliers d’enfants, dont des centaines d’orphelins comme lui. Jamais de stress ? Comment pouvait-il être sérieux ? Kalson m’a alors raconté ses deux années aux Etats-Unis, où il a passé une maîtrise de sciences de l’éducation grâce à une bourse internationale. « Je vivais avec des étudiants américains. Quoi que nous fassions, ce n’était jamais assez. Nous étions au supermarché, il fallait se dépêcher pour préparer nos devoirs ; nous étions en train de travailler, il fallait terminer au plus vite parce que des amis allaient arriver pour regarder un match à la télévision ; nous regardions le match, les commentateurs disaient que le véritable événement serait le prochain match, et qu’il fallait commencer à s’y préparer… »

Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous, les sociétés les plus riches du monde ; nous, que des milliards d’habitants de la planète envient, comment pouvons-nous être plus stressés que des réfugiés qui doivent chaque jour faire face à la pénurie de l’essentiel, y compris, parfois, de l’eau ?

L’écrivain suisse Alain de Botton expliquait dans l’un de ses essais qu’une fois nos besoins de base assurés (pour se protéger contre la faim, le froid et la violence), et en dehors de l’amour romantique et de la sexualité, notre plus grande nécessité est l’acceptation et la reconnaissance par ceux qui nous entourent.

Or, pour savoir si nous « comptons », ou pas, nous n’avons pas d’autres moyens que de regarder ce que font les autres – ceux que les sociologues appellent notre « groupe de référence » - et de nous conformer à eux autant que possible. Il s’agit le plus souvent de nos voisins, de nos amis, des gens avec qui nous avons grandi. S’ils ont une maison de campagne, s’ils mangent bio, s’ils ont un 4X4, s’ils parlent anglais couramment, s’ils font du yoga, si leurs enfants jouent du piano…, alors nous devons tant bien que mal « rester au niveau ». Et pour cela, il faut courir. Tout le temps. Et encore, cela suffit rarement. Malgré toutes les difficultés traversées par mon interlocuteur tibétain, il n’avait pas le sentiment, lui, de devoir courir pour être considéré par ceux qui l’entouraient. Peu importait son salaire ou le fait qu’il n’ait pas de voiture. Il savait qu’il « comptait » sans avoir besoin d’en faire plus.

Alors, nous qui vivons dans une société qui mesure la valeur de chacun à son niveau de productivité et à l’accumulation de ses activités, sommes-nous condamnés au stress ?

Aujourd’hui, nous sommes nombreux à avoir compris que la vraie richesse se mesure à la qualité de nos rapports humains. Et cela, nous pouvons en partie le décider. Nous pouvons choisir nos valeurs, choisir notre comportement, choisir nos amis. Et nous pouvons élever nos enfants dans le respect de ces choix. Finalement, sur notre lit de mort, le seul jugement qui nous restera sera celui-ci : avons-nous su aimer et être aimé ? Avons-nous su « être là », ou avons-nous pensé, tout au long de notre vie, au prochain match ?...     

 

 

Cet article de David Servan-Schreiber est paru dans le Psychologies Magazine du mois d'octobre 2010.

 

 

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